Ce roman, de son titre original Grande Sertao : Veredas qui laisse place en français à Diadorim, le personnage central et énigmatique du roman, a été publié en 1956 au Brésil. Ce récit que l’on pourrait qualifier d’auto-biographique inversé, relate à la façon romanesque des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, ou encore énigmatique et labyrinthique comme Le manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki, la vie de jagunço, mercenaire brésilien de la fin du XIXème siècle, du narrateur Riobaldo, devenu au moment où il nous parle propriétaire terrien.

Dans un flux de paroles inépuisables adressées à un auditeur faussement inconnu – puisqu’il s’agit pour l’auteur de s’adresser directement à son lecteur -, nous suivons les aventures, la vie, les combats qui eurent lieu au sein du sertao, ce lieu reculé du Brésil, loin des tumultes des villes, proche de la nature, du désert, de la faune et de la flore, au cœur de l’humain et de son animalité.
Évoluant au sein du bétail et des chevaux, au service des propriétaires des fazendas, les fazendeiros, ce que nous raconte le narrateur, au-delà de son long fleuve tumultueux et inquiétant de paroles, à l’instar du fleuve Chico dont il fait l’épreuve, c’est son désir de rencontrer le diable, non celui dont on parle de façon superstitieuse, mais celui qui habite en nous.
Si Riobaldo déverse sa vie sous nos yeux de lecteurs, c’est probablement pour se vider de ce diable qu’il a rencontré puis laissé entrer en lui, ce désir de pouvoir absolu incarné par Hermogenés, qui l’entraînera jusqu’à la perte de Diadorim qu’il aime au-delà de l’amitié, d’un amour mystérieux que le seul mystère de ce personnage puisse incarné.
Si la femme se voile pour se cacher à elle-même, l’homme le fait de façon flagrante pour échapper au regard de l’autre. Diadorim ne cache jamais son mystère à Riobaldo.
Et cet amour innommable conduit l’homme Riobaldo, devenu Crotal-Blanc puis chef de son équipée de jagunços, vers un pacte illusoire avec le diable, avec la mort, celle du renoncement à la toute-puissance qui lui voudra la mort d’Hermogenés – cette incarnation du Mal dans ce qu’il y a de plus immatériel tant ce personnage ne pense pas et est continuellement esclave de son propre maître -, mais aussi lui coûtera la mort de son amour.
La haine et l’amour n’auront jamais été si culminants dans leurs combats que dans cette ultime rencontre que nous conte Joao Guimaraes Rosa.
Cet amour sera révélé dans l’éclat de sa vérité, celle de la féminité plurielle : les amours de Riobaldo n’étaient que belles et interdites, silencieuses.