Marguerite Yourcenar, de son vrai nom Marguerite Cleenewerck de Crayencour (anagramme de Yourcenar comme vous l’aurez certainement remarqué), est née à Bruxelles le 8 juin 1903 et morte le 17 décembre 1987 à Bar Harbor aux Etats-Unis. Alexis ou Le Traité du vain combat, publié en 1929, est son premier roman et Le Coup de Grâce a été publié en 1939, soit dix années après. Ces deux courts romans ont ceci de commun que l’histoire que chacun raconte se situe aux alentours de la Première Guerre Mondiale, avant pour le premier roman, en 1919 pour le second. L’autre point commun, c’est l’évocation de Jeanne de Vietinghoff amie proche de la mère de Marguerite puis de son père.
Un premier roman épistolaire
Alexis ou Le Traité du vain combat est le premier roman de Marguerite Yourcenar qui n’avait jusqu’à présent publié que des recueils de poésie. C’est un roman épistolaire : Alexis, le narrateur, jeune musicien de 24 ans, écrit une longue lettre à sa très jeune femme, Monique. Il y raconte sa vie, ses amitiés, sa rencontre avec la jeune femme, leur mariage et leur voyage de noces, et surtout ce qui le fait souffrir depuis tant de temps : son homosexualité. Cette dernière n’est jamais déclarée ouvertement, elle est suggérée tout au long du roman notamment à travers la très grande sensibilité du narrateur, son état mélancolique qui lui feront penser qu’il s’agit d’une maladie qu’il lui faut combattre : en ce début de XXème siècle, l’homosexualité, terme qui n’apparaît qu’à la fin du XIXème siècle, est certes de mieux en mieux acceptée par la société, mais demeure néanmoins une maladie mentale et tout particulièrement dans le milieu bourgeois. Cette lettre est un moyen pour Alexis de mieux se comprendre, elle s’adresse non seulement à sa femme mais aussi, et presque surtout, à lui-même, se libérant de ce vain combat qu’il a mené contre son homosexualité.
La guerre des sentiments amoureux
Le Coup de Grâce évoque trois conflits : celui de l’aristocratie prussienne avec le bolchévisme puisque l’action se passe en pleine guerre civile russe en 1919, celui des sentiments amoureux entre Erich, le narrateur et personnage principal, et Sophie, celui intérieur d’Erich qui semble plus proche de Conrad, le frère de Sophie. Ambivalence des sentiments dans un monologue intérieur, Marguerite Yourcenar nous invite à travers ce roman à réfléchir sur la difficulté à reconnaître, à appréhender, à accepter et à résoudre les conflits autant intérieurs qu’extérieurs qui nous tiraillent entre deux pôles de notre sexualité, et à nous interroger sur la possibilité d’accorder de la place et de se réconcilier avec cette position intermédiaire qu’est la bisexualité.
Jeanne de Vietinghoff
Le lecteur de Marguertite Yourcenar ne peut pas passer à côté de cette femme, particulièrement à la lecture de ces deux romans, tant Jeanne de Vietinghoff y est évoquée. Dans Alexis ou Le Traité du vain combat, elle a très probablement inspiré le personnage de Monique et l’on peut noter que le personnage principal porte le même prénom que le deuxième fils de Jeanne. Le Coup de Grâce lui aura certainement été inspiré par les récits qu’on fait Jeanne et son mari Conrad, autre prénom partagé, de la guerre des pays Baltes. Jeanne de Vietinghoff était une véritable mère de substitution pour Marguerite Yourcenar qui voua une profonde admiration pour cette femme de lettres belge.